Les habits neufs de la coopération UE-Mauritanie... Jemal Taleb

mer, 27/03/2024 - 16:21

Nouakchott a choisi de signer avec l’Union européenne un accord qui, quoi qu’en disent ses détracteurs, va bien au-delà des questions migratoires. Une façon d’entrer dans une relation d’égal à égal avec ses partenaires, sans se laisser égarer par les sirènes des panafricanistes autoproclamés.

Beaucoup de contre-vérités ont été affirmées à propos de l’accord signé à la suite de la visite à Nouakchott de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et du Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez. Décrit comme un véritable pacte faustien dans lequel beaucoup ont cru déceler des relents de néocolonialisme, sa portée est en réalité assez modeste malgré les réactions enflammées qu’il a suscitées.

La Mauritanie occupe aujourd’hui une place très secondaire sur la carte des routes migratoires à destination de l’Europe. Ce n’est pas un pays d’émigration et la diaspora mauritanienne en Europe est résiduelle. Les migrants transitant par la Mauritanie cherchent à se rendre dans les îles Canaries, et de là rejoindre le Vieux Continent. Au nombre de 100 000, ils viennent dans leur grande majorité du Mali voisin.

L’accord signé par Nouakchott – comparé à tort avec l’accord qui va lier le Royaume-Uni et le Rwanda – vise à établir un partenariat pour réduire le nombre de migrants traversant le pays. Il n’est pas question que la Mauritanie héberge sur son sol des migrants expulsés du continent européen, mais qu’elle limite les flux qui pourraient transiter par son territoire.

Hydrogène vert, emploi, connectivité…

Le montant que recevra la Mauritanie pour sa coopération sécuritaire avec l’UE, 210 millions d’euros, a suscité des interrogations. Ces craintes sont légitimes dans une région où la domination étrangère est monnaie courante. Le montant octroyé est en réalité assez modeste, et échelonné sur plusieurs années. Plus fondamentalement, le partenariat avec l’UE va bien au-delà de la question migratoire. Il couvre d’autres domaines : hydrogène vert, emploi, connectivité.

La Mauritanie et l’UE ont décidé d’écrire ensemble un nouveau chapitre de leur histoire. Le pays, oasis de stabilité, se doit de préserver sa sécurité – il n’a pas connu d’attentat sur son sol depuis treize ans –, qui tend à devenir une exception dans la région, et la spécificité de sa partition diplomatique au milieu d’un orchestre sahélien désaccordé. Le contexte régional est quant à lui bien différent. Les routes légendaires du commerce transsaharien sont aujourd’hui le repaire de tous les trafics, y compris celui d’êtres humains, dont sont victimes les migrants.

Le subtil équilibre de Ghazouani

Cet accord est une preuve que les pays africains peuvent tutoyer leurs interlocuteurs diplomatiques européens, sans complexe ni rancœur. Plutôt que de tirer un trait définitif sur les relations avec nos amis européens, il faut plutôt exiger de nos alliés historiques que nous tenions désormais la barre à quatre mains. Cet accord UE-Mauritanie , en définissant un ensemble de modalités opérationnelles, dessine une nouvelle vision, entre domination étrangère et utopie autarcique.

Il s’inscrit dans le subtil jeu d’équilibre diplomatique du président mauritanien Mohamed Ould Ghazouani, capable de dialoguer avec l’ensemble des interlocuteurs de la région et de tirer le meilleur parti des collaborations internationales. C’est cette capacité, unique dans la région, qui lui a valu de prendre la tête de l’Union africaine (UA) le 18 février dernier.

Le Niger, le Mali, le Burkina, la Côte d’Ivoire, le Rwanda sont fondés à faire des choix qu’ils jugent bons pour leur développement. Il en va de même pour la Mauritanie. Il nous paraît donc urgent que les Africains arrêtent de faire la promotion d’une utopie « panafricaniste » qui prétend qu’ils sont tous pareils. Les relations devraient se nouer entre deux États, et c’est ce choix qui est celui de la Mauritanie. Ce qui n’exclut pas une réflexion sur des regroupements, des coopérations régionales et des projets communs pour le développement des pays. Les États africains existent. L’Afrique, quant à elle, reste à construire. Et c’est là toute sa chance.

Jemal Taleb - L’avocat franco-mauritanien
Avocat au Barreau de Paris, associé au cabinet Diamantis & Partners, vice-président du Centre de réflexion sur le Sahel.

Jeune Afrique

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