Orpaillage : Chegatt, le nouvel eldorado ?

jeu, 11/03/2021 - 12:59

L’orpaillage pratiqué en Mauritanie depuis 2016 dans la zone de Chami, pas loin de la mine d’or de Tasiast propriété de la société canadienne Kinross, est en train de lever un coin du voile sur les ressources estimées en métal jaune du pays. La question que l’on se pose, de plus en plus, est celle-ci : l’exploitation traditionnelle de l’or pourrait-elle dépasser un jour celle du grand géant minier ?

 

Deux faits importants sont mis en avant par certains observateurs pour dire que oui.

Il y a d’abord que l’orpaillage effectué avec des moyens rudimentaires est en train de montrer que l’or existe en quantité importante en Mauritanie.

Les chiffres sont en continuelle progression : on parle de quelque de 200.000 personnes, soit 5% de la population mauritanienne ! A personnes occupées, directement ou indirectement, par l’exploitation artisanale de l’or ! Toujours selon les estimations, le  potentiel aurifère serait de l’ordre de 35 millions d’onces pour une valeur théorique de 50 milliards de  dollars (soit 10 fois le PIB actuel de la Mauritanie).

En 2019, la société Tasiast Mauritanie Ltd S.A (TMLSA) a produit 12 tonnes d’or, soit 391 097 onces d'équivalent or, tandis que MCM (Mines de Cuivre de Mauritanie) a produit 1,35 tonne. Mais le secteur artisanal reste le plus actif et le plus prometteur en matière d’emplois, d’investissements et de production.

En 2019, quelque 1.050 kg d’or ont été commercialisés à travers le circuit de la Banque Centrale de Mauritanie (BCM) qui ne reçoit cependant que 20 à 25% de la production artisanale. Il est vrai qu’à  cause des effets de Covid19, cette  année, 50% de la production pourraient avoir été commercialisés à travers la BCM.

Deuxième fait : la lettre d’intention signée par Tasiast, le 15 juin 2020, avec le gouvernement mauritanien traduit-elle une volonté de « réparation » de la part de Kinross qui, depuis une décennie, ne verse que des miettes à la Mauritanie dans ce qui ressemblait bien à un partenariat « gagnant-perdant » ?

Une lettre d’intention signée par l’ancien ministre du Pétrole, des Mines et de l’Énergie,  Mohamed Abdel Vetah et J. Paul Rollinson, CEO de Kinross qui avait ouvert la voie à la révision de certains points essentiels d’un premier accord établi en 2006, avec le premier propriétaire de la mine, Red Back Mining, et au terme duquel le gouvernement mauritanien de la Transition militaire avait accepté des redevances de 3% et une exonération fiscale pour Tasiast pendant 5 ans !

L’introduction d’une nouvelle structure de rétribution « basée sur le prix de l’or permettra d’obtenir des niveaux de redevances en conformité avec la loi actuelle et comparables aux niveaux appliqués dans la région. »

 Le nouvel accord est « un plus », après plusieurs années de « presque rien », en ce sens qu’il permet à la Mauritanie de doubler les redevances perçues, qui passent de 3% à 6%, en fonction des fluctuations du prix de l’or sur le marché mondial.

Concernant ce point précis, une projection faite par la société Tasiast Mauritanie donne les indications suivantes : au-dessous de 1000 USD l’once, on passe de 3% à 4,%, soit une augmentation d’un point, par rapport à la convention de 2006. Entre 1000 USD et 1199 USD, les royalties payées par Tasiast augmentent de 1,5 point et passent à 4,5%. Elles seront de 5% entre 1200 et 1399 USD l’once, de 5,5%, si le prix de l’or oscille entre 1400 USD et 1599 USD, 6%, pour l’once vendue entre 1600 USD et 1799 USD et, enfin, de 6,5% au-delà de 1800 USD l’once. A titre d’exemple, le prix de l’once d’or, en ce dimanche 27 décembre, s’établit à 1,857.75 USD.

 

La ruée vers Chegatt

 

Chegatt, zone se situant à l’extrême nord de la frontière entre la Mauritanie et l’Algérie, a changé de vocation, en devant « nouvelle zone d’orpaillage » après avoir été, depuis les premiers attentats terroristes en Mauritanie, (Lemghayti, 2005, Ghalawiya, 2007 et Tourine) une zone militaire fermée.

C’est le 15 décembre 2020, en présence du wali du Tiris Zemmour et du commandant de la deuxième région militaire,  le général Abba O. Babty, et du directeur général de la société MAADEN MAURITANIE, que près de 2000 voitures tout-terrain et une centaine de camions bondés d’orpailleurs se sont ébranlés vers Chegatt dans une ruée vers l’or qui rappelle les beaux jours du rallye Paris-Dakar. Dans cette zone où des indices probants permettent de penser que l’or existe pour être exploité traditionnellement, comme à Chami et à Gleib Ndour, la sécurité sera tout de même assurée par 650 militaires se trouvant déjà sur place.

Un tracé établi sur plus de 800 Km, à partir de Zouerate, pour arriver au point défini doit être rigoureusement respecté pour ne pas se voir infligé les sanctions prévues pour toute infiltration en zone militaire ou s’exposer aux tirs d’armes. Les opérations d’orpaillage s’effectueront, précise le directeur général de Maaden Mauritanie, Hamoud Ould Mhamed, sur un espace autorisé de 104.000 kilomètres carrés.

Les autorités mauritaniennes espèrent que cette ruée vers la zone de Chegatt (20 000 orpailleurs) sera concluante comme l’ont été celles qui l’ont précédée (Chami, Gleib Ndour) qui, tout en contribuant à la résorption du chômage des jeunes, a renforcé les réserves en or du pays.

Selon les indications de la Banque centrale de Mauritanie, les avoirs en or comprenant l’or détenu au siège de la BCM et à la Banque de France, réévalués au 31/12/2019, sont établis à 2.425 000 000 MRU contre 576 000 000 MRU au 31/12/2018, soit une forte augmentation, représentant plus que 300%. La variation de l’exercice est liée essentiellement à l’augmentation des quantités d’or dans les caves de la BCM liée aux opérations d’acquisition des grandes quantités auprès des orpailleurs dans le nord du pays. Au mois de septembre 2020, le responsable du point d’achat de la BCM à Chami, zone où opère la société Tasiast Mauritanie, a révélé 20 kg d’or sont achetés quotidiennement aux orpailleurs malgré une forte contrebande à l’aéroport international de Nouakchott et sur les frontières terrestres du pays.

Au cours du troisième trimestre 2020, l’or compte pour 25% des exportations mauritaniennes évaluées à 27 390 millions MRU, en progression de 8,6% par rapport au trimestre précédent. Si la tendance se poursuit, avec l’ouverture de la zone de Chegatt, le métal jaune pourrait, à moyen terme, dépasser les exportations de minerai de fer (35,5%) et des produits de la pêche (30,5%). Les exportations de l’or, d’une valeur de 7068 millions MRU, enregistrent une augmentation de 10,7% par rapport au deuxième trimestre 2020. Leur principale destination est la Suisse et le Canada.

 

Sneiba Mohamed

 

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